Rédigé par:
Christopher Housseaux
Étudiant à la maîtrise, Université de Montréal.
L’activisme sur les médias sociaux numériques consiste d’un exemple clé de la résistance en ligne moderne. De la simple mise en évidence d’événements sociaux tragiques, tel le cas de George Floyd qui a donné un nouveau souffle au mouvement Black Lives Matter aux États-Unis (Wirtschafter, 2021), aux récents efforts du collectif Anonymous qui a acclamé haut et fort sa volonté de combattre l’invasion russe en Ukraine avant de commencer à publier ses exploits sur ce front (Milmo, 2022), il est intéressant de noter à quel point ces plateformes si souvent aux cœurs de polémiques concernant la liberté d’expression et la vie privé constituent des outils essentiels dans les luttes sociales. D’autant plus, la possibilité de mettre en valeur ces enjeux sociaux souvent invisibles ou obscurs à une pluralité de publics divers permet de renvoyer à l’importance de rendre visible les enjeux sociaux afin de les constituer dans les débats mondiaux (Voirol, 2005). Le tout permet d’allier l’importance des médias sociaux pour l’activisme à l’ère du numérique, et l’impact que cette multitude d’acteurs peut avoir sur ces enjeux sociaux.
Cela dit, un autre élément d’intérêt dans cette forme « d’hacktivisme » se constitue dans les façons que des groupes souvent disparates à première vue, se retrouvent à collaborer mains dans les mains, unis face à des enjeux qui semblent sortir complètement de la sphère d’intérêt des groupes concernés. Un exemple significatif de cette notion est celui d’un collectif de fans de musique K-POP et ses efforts vis-à-vis d’enjeux tels que le mouvement Black Lives Matter, ses combats contre le groupe QAnon, et de nombreux débats politiques à travers le monde (Carville, 2020). Le groupe de musique pop sud-coréen Bulletproof Boy Scouts, composé de sept membres et mieux connu sous le nom « BTS », a connu dans les dernières années une montée de popularité fulgurante. Le groupe a notamment franchi des records établis par les Beatles (Carville, 2020), et possède une communauté de fans prête à se lancer au cœur de ces débats sociaux qui semble pour la plupart éloignés de leurs intérêts premiers. Je fais ici référence au collectif mieux connu sous le nom de BTS ARMY, ARMY étant l’acronyme populaire du « Adorable Representative M.C. for Youth » (Carville, 2020).
QAnon, ARMY, et le « Keyword Squatting »
Selon les travaux de Donovan et Friedberg (2019), le « keyword squatting » est « la domination stratégique de certains mots-clés et de comptes pantin afin de détourner le sens des représentations de groupes ou d’individus données en ligne ». Cette pratique peut notamment jouer un rôle au niveau de la propagation et du détournement d’information spécifique. Un exemple notable de ce phénomène se retrouve dans les efforts du mouvement conspirationniste en 2019 afin de démasquer l’identité du lanceur d’alerte qui avait déposé une plainte contre le 45e président américain Donald Trump pour des discussions jugées illicites au sujet du candidat présidentiel Joe Biden (Donovan et Friedberg, 2020). Cependant, cette pratique de bombardement de fausses informations peut aussi être utilisée à des fins de résistances. La communauté BTS ARMY a notamment mobilisé une telle tactique en juin 2020 afin de bombarder de plus de 22’000 tweets les hashtags #WhiteLivesMatter et #Qanon avec des vidéos de leurs idoles sud-coréens, détournant tout individu de ces liens de nature raciste et les rendant temporairement ineffectifs (Carville, 2020).
À l’évidence, les médias sociaux numériques semblent propices à de telles démarches de détournement. En ne pointant que de nombreuses critiques entourant le fonctionnement des algorithmes à favoriser certains contenus (souvent racistes et homophobes) en ligne (Little, 2018), il est possible de proposer que l’infrastructure actuelle d’internet rende particulièrement redoutable cette forme de bombardement stratégique d’information et de désinformation. Les attaques DDoS (Denial-of-service), le keyboard squatting, ou l’usage d’une armée de comptes automatisés afin de bombarder de contenu raciste les espaces d’échanges sur la plateforme Twitch (Andrew, 2021), pour n’en nommer que quelques-uns, permettent de pointer ce qui semble être à la fois une lacune de la nature accessible et libre (ou du moins, prétendument libre) de l’internet, mais aussi d’une force dans les cas où des groupes passionnés peuvent se mobiliser à travers le monde afin de participer aux mouvements sociaux en ligne. Les médias sociaux constituent alors à la fois des lieux de rassemblement et des lieux d’action concrets face à des débats de tout genre.
Bien entendu, des questions doivent être posées quant au réel pouvoir de telles démarches face à ces enjeux sociaux notables. Bien que le groupe BTS ARMY ait été en mesure de détourner l’attention vers le contenu d’origine raciste grâce au vidéo de leurs idoles pour un certain temps (Carville, 2020), quels sont les réels effets de telles mesures dans l’espace virtuel?
Bibliographie
Wirtschafter, V. (2021, 17 juin). How George Floyd changed the online conversation around BLM. TechStream. https://www.brookings.edu/techstream/how-george-floyd-changed-the-online-conversation-around-black-lives-matter/
Milmo, D. (2022, 27 février). Anonymous: the hacker collective that has declared cyberwar on Russia. The Guardian. https://www.theguardian.com/world/2022/feb/27/anonymous-the-hacker-collective-that-has-declared-cyberwar-on-russia
Voiro, O. (2005). Les luttes pour la visibilité : esquisse d’une problématique. Découverte, 1(129-130), 89-121. DOI : 10.3917/res.129.0089
Carville, O. (2020, 28 octobre). No one fights QAnon like the global army of K-pop superfans. Bloomberg. https://www.bloomberg.com/news/features/2020-10-28/bts-k-pop-stans-are-fighting-qanon-and-maga-on-social-media
Donovan, J., Friedberg, B. (2019, 4 septembre). Source Hacking: Media Manipulation in Practice. Data and Society Research Institute. https://datasociety.net/library/source-hacking-media-manipulation-in-practice/.
Donovan, J., Friedberg, B. (2020, 22 septembre). Targeted harassment: the Ukraine whistleblower. https://mediamanipulation.org/case-studies/targeted-harassment-ukraine-whistleblower
Little, O. (2021, 18 mai). TikTok’s recommendation algorithm is promoting homophobia and anti-trans violence. Media Matters. https://www.mediamatters.org/tiktok/tiktoks-recommendation-algorithm-promoting-homophobia-and-anti-trans-violence
Andrew, S. (2021, 2 septembre). Black and LGBTQ streamers on twitch boycotted the platform after repeated ‘hate raids’. CNN. https://www.cnn.com/2021/09/02/tech/twitch-day-off-boycott-racism-cec/index.html