Par Matheus Costa Nunes, révisé par Stéphane Couture
Le Lab-Delta était présent au Forum canadien sur la gouvernance de l’Internet, à Ottawa, afin de mieux comprendre comment les enjeux de la connectivité en ligne et de la gouvernance d’Internet sont discutés par les principales parties prenantes. Voici un aperçu général des controverses les plus débattues lors de cet événement.
Les controverses actuelles au Canada dans la gouvernance d’internet
Le 25 novembre, l’ACEI (Autorité canadienne pour les enregistrements Internet) a organisé une nouvelle édition du Forum canadien sur la gouvernance de l’Internet (FCGI) à Ottawa. L’événement met en lumière les perspectives de chaque chaque partie prenante ayant une influence sur la gestion de l’internet, tout en les connectant à des discussions contemporaines. Les panélistes ont offert un panorama des principaux obstacles à surmonter pour maintenir un réseau fonctionnel et sain.
Par exemple, Michele Austin, directrice chez Bell Canada, a souligné que les changements climatiques posent un défi unique pour l’entretien des infrastructures Internet. Les inondations et les incendies de forêt rendent nécessaire une maintenance constante, un enjeu particulièrement critique dans un pays aussi vaste que le Canada.
Adiel Akplogan, vice-président de l’engagement technique à l’ICANN, a quant à lui insisté sur l’importance de respecter les protocoles de l’Internet, alors que les tensions géopolitiques actuelles menacent de fragmenter le réseau. De son côté, Mark Surman, directeur général de la Fondation Mozilla, a estimé que l’un des défis majeurs consiste à garantir un Internet libre, au service du bien public. Selon lui, la clé réside dans la diversité et la décentralisation du pouvoir : plus il y a d’acteurs impliqués, mieux c’est.
La question de l’intelligence artificielle et des risques de désinformation en ligne a également occupé une place centrale lors du FCGI. Pour Marlene Floyd, directrice de Microsoft Canada, la priorité des entreprises est de décourager l’utilisation des outils d’IA à des fins contraires à l’éthique. Elle soutient que les produits les plus durables à long terme sont ceux qui ne facilitent pas les activités criminelles. De manière similaire, le journaliste Justin Ling a plaidé pour un Internet responsable, nécessitant une plus grande imputabilité des grandes plateformes médiatiques.
Parmi tous ces sujets, l’intervention de Frances Haugen sur les droits des enfants en ligne a particulièrement marqué les esprits. En tant que mère, ex-employée de Facebook et lanceuse d’alerte, Haugen a affirmé qu’un Internet totalement libre n’est pas idéal pour les jeunes. Elle a plaidé pour des limitations d’âge similaires à celles imposées aux films et aux programmes télévisés, ainsi que pour des restrictions sur le temps d’écran, afin de prévenir l’addiction aux appareils numériques.
« Multistakeholderism » : le mantra des responsables de la gouvernance de l’Internet
Un aspect frappant de ce type de rencontre est la fréquence à laquelle l’expression « multistakeholderism » est évoquée. Mais que signifie-t-elle exactement ? Il s’agit de la description même de ce qui se déroule au FCGI : un espace où se réunissent les parties prenantes responsables de la gestion de l’Internet. Ces parties incluent des membres de la société civile (e.g ONG et dirigeants communautaires), des compagnies de télécommunications, des entreprises technologiques (plateformes et fabricants de matériel), des gouvernements, ainsi que des organismes de standardisation comme l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), plus d’autres groupes institutionnels. L’idée est que les parties prenantes constituent un ensemble divers d’acteurs représentants de différents secteurs sociaux. En français, ont peut utiliser l’expression « multipartitisme » ou « approche multipartiprenante ».
Ces groupes sont considérés comme les sources d’autorité nécessaires pour débattre des enjeux de l’Internet. Le fruit de leurs discussions peut aboutir à un consensus, qui, bien qu’il n’ait pas force de loi, sert de ligne directrice pour les décisions au sein de chaque organisation. Bien que le consensus puisse paraître flou, ses partisans ont une réponse prête : « Le consensus est toujours la moins mauvaise option ». Cette phrase clé a également été répétée à plusieurs reprises lors de la conférence
Les limites du modèle multistakeholder
Deux défis majeurs ont émergé des discussions du FCGI. Premièrement, la difficulté d’intégrer la participation des groupes locaux dans un modèle global de gestion du réseau. Pour diverses organisations de la société civile, le manque de connaissance des espaces comme le FCGI limite leur participation.
Deuxièmement, le contexte géopolitique actuel, beaucoup plus tendu qu’à l’époque de la création de l’Internet commercial en 1992. Des pays non démocratiques comme la Russie et la Chine s’efforcent de gouverner le numérique selon des principes contraires au modèle multistakeholder ou multipartiste. Cela introduit une approche plus normative et autoritaire, qui peut séduire certains gouvernements insatisfaits du modèle actuel. Par ailleurs, l’idée d’un Internet complètement libre est souvent associée à l’impunité et à la domination des entreprises, au détriment du bien public. Entre ces deux modèles extrêmes, le Canada aspire – selon les participants – à explorer une troisième voie : un cadre qui préserve la responsabilisation sans compromettre l’initiative individuelle ni la liberté d’expression.
Participation du Lab-Delta
Pour les membres du Lab-Delta, la participation au FCGI a été l’occasion d’assister à des discussions concrètes qui ont un impact sur leurs intérêts de recherche. En tant que laboratoire de recherche dédié à l’intersection de la technologie et de la réflexion critique, la conférence a été l’occasion d’observer comment la neutralité du réseau, l’intelligence artificielle, la plateformisation et les droits en ligne – parmi d’autres questions – sont abordés de façon pratique par des représentants des secteurs public, social et privé.